Je n’avais absolument pas prévu de parler de ce sujet, une grossesse interrompue, et donc la perte d’un bébé en 2018. La preuve, c’est que nous sommes en Mars 2020, soit 19 mois plus tard. Mais aujourd’hui, le contexte est différent : je suis de nouveau enceinte et j’ai besoin de poser des mots sur cette partie de notre vie.
En Juin 2018, j’apprends donc que je suis enceinte, après plusieurs tests, pour être sûre ! On est ultra contents, très sereins à l’idée d’avoir un bébé. En plus, je suis tombée enceinte tellement vite ! La prise de sang confirme quelques jours plus tard que je suis bien enceinte. Très vite, je suis très malade, tout le temps. Je n’ai pas connu les nausées matinales, mais des nausées perpétuelles. Je ne mange rien, rien ne passe. J’arrive à me nourrir de pâtes plutôt nature, de pain de mie avec du Saint-Môret et du jambon blanc, en gros ; de la compote aussi. Je perds quelques kilos sur ces 3 mois, mais rien de grave. Je vis ces désagréments comme un signe positif : c’est la preuve que je suis enceinte, puisque rien ne se voit encore physiquement. On l’annonce assez vite à nos très très proches, on ne sait pas tenir notre langue !
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Je prends tranquillement mes rendez-vous à l’hôpital pour le suivi, et le premier rendez-vous est donc l’échographie des 3 mois. Ce rendez-vous tombe dans les derniers jours de Juillet, un Mardi, quelques jours avant notre départ en voyage de noces en Italie, suite à notre mariage en 2017. On part donc tous les deux à l’échographie, et les choses s’emballent assez vite. La sage-femme qui pratique l’échographie est adorable, et nous sommes pressés d’en voir plus ! Très vite, elle s’arrête sur la clarté nucale du fœtus, et tout de suite, on la sent très inquiète. Elle nous explique rapidement que la clarté nucale est de 9 millimètres. Or, à ce stade, on attend une clarté nucale en dessous de 3 millimètres. Elle continue l’échographie rapidement, pour contrôler encore quelques données. Très vite, ensuite, elle nous explique l’impact de cette clarté nucale.
C’est donc un signe important de risque de trisomie chez le fœtus. La claque est immense, pour les deux naïfs que nous sommes à ce moment-là. C’est l’ouragan dans mes pensées, j’essaie de mesurer toutes les implications possibles de ce qu’elle vient d’énoncer. Très vite, comme souvent, j’imagine le spectre entier qui s’ouvre devant nous avec cette information. J’envisage qu’elle se trompe, que ça ne soit rien, que nous soyons l’exception à la règle, j’envisage aussi une grossesse interrompue. Jamais nous n’aurions imaginé que les choses puissent se passer de cette façon. La sage-femme s’absente rapidement voir ses collègues du centre de diagnostic anténatal. Au vu de son inquiétude, elle nous propose de passer directement une biopsie. Cet examen permet d’analyser l’ADN du fœtus et confirmer ou non de façon définitive l’échographie. Le rendez-vous est pris pour 36 heures plus tard. On repart de l’hôpital dans un état second. La sage-femme m’a mise en arrêt de travail pour le reste de la semaine, ensuite s’enchaînent mes vacances. Je passe rapidement au bureau pour prévenir mes collègues et prendre mes affaires. Je réalise alors que j’ai plusieurs appels en absence de mes parents, qui voulaient savoir comment l’écho s’était passée. Je suis incapable de les rappeler.
Le Jeudi matin, on retourne à l’hôpital pour la biopsie. L’examen se passe rapidement, et le gynécologue m’explique de long en large ce que cet examen implique. Il est professionnel et neutre, mais aussi réaliste : le risque d’anomalie est élevé. Nous attendons les résultats génétiques pour le début de la semaine suivante. Entre-temps, on vit donc comme suspendus. On annule nos 2 semaines en Italie, parce qu’on sent bien que les choses ne vont pas dans le bon sens. La semaine suivante, l’hôpital nous appelle pour nous rendre les résultats lors d’un rendez-vous avec le département génétique de l’hôpital. Comme nous le sentions, les résultats sont inquiétants : le fœtus est bien porteur d’une anomalie génétique appelée le Syndrome de Turner, soit une une monosomie X. Il s’agit donc, de façon simplifiée, du manque d’un chromosome X.
Il s’agit donc d’une maladie rare, et donc très peu connue. J’ai lu bien plus tard que 98% de ces grossesses n’allaient pas au terme, car cette monosomie entraîne une fragilité des embryons. Une fois cette annonce passée, violente encore une fois, la question est posée par le personnel de l’hôpital. Que souhaitez-vous faire ? Poursuivre la grossesse ou choisir une interruption ? Nous avons choisi l’interruption, en notre âme et conscience, sans débat sur le sujet. Nous nous posons également la question : quelle est la cause ? Il s’avère que l’on parle « d’accident génétique », sans cause spécifique.
A cet instant précis, je me souviens distinctement que mon cerveau est passé en pilote automatique. Pour me protéger, mais ça je le comprendrai plus tard, je vis cet épisode de décision et la suite des événements comme un enchaînement d’étapes. L’émotion est violente lorsque j’en parle à peine avec mes parents, et je ne comprends absolument pas comment gérer ça. Alors pour faire simple, je n’en parle pas. J’agis, je suis les étapes. J’attends la confirmation de l’hôpital sur la date de l’interruption médicale de grossesse. Elle arrivera une semaine après notre décision, le temps des formalités indispensables. Entre temps, on vit comme on peut. On part quelques jours au Touquet prendre l’air avant cette épreuve. On bricole, on fait passer le temps et on en parle peu. Chacun gère ça comme il le peut.
Une fois la date arrivée, on rentre à l’hôpital la veille au soir. Tout est fait pour que je sois le moins dérangée possible. La chambre est à l’écart du service maternité, délicate attention. On m’explique que le lendemain, la journée sera sûrement longue. Il s’agira d’un accouchement, et non d’une aspiration, si je reprends des termes clairs. Nous le savions, mais c’est ce que je redoute. La journée en salle d’accouchement est effectivement longue, car le déclenchement n’est pas naturel et doit donc être déclenché à l’aide de comprimés. Pour ma part, je suis descendue avec un bouquin. Mon calme et mon détachement me surprennent et me font aussi un peu peur : je me dis que je devrais réagir autrement, être paniquée, ou traumatisée. Mais sur le moment, je vis ça calmement. Je vais juste me fritter sévère avec l’anesthésiste : après 8 piqûres de péridurale ratées et 2 chutes de tension, cette médecin a eu quelques mots un peu hauts. Je lui ai expliqué que je ne vivais pas exactement le plus beau jour de ma vie, et qu’aux dernières nouvelles, je me trouvais extrêmement calme au vu des circonstances. La neuvième piqûre fut la bonne. Les choses sont ensuite allées assez vite, le deuxième comprimé fait effet, soit environ 6 heures après mon entrée en salle, tout se passe ensuite en quelques minutes. La grossesse est interrompue. J’ai ensuite été examinée pour s’assurer que tout allait bien, et ait attendu 1 heure avant de remonter dans la chambre.
Nous sommes sortis de l’hôpital le lendemain en fin de matinée. J’ai à nouveau eu un arrêt d’une semaine, le temps pour mon corps de reprendre en partie ses marques. Je savais aussi que reprendre le boulot serait une bonne chose, avoir l’esprit occupé à d’autres choses. J’allais bien, en tout cas j’avais l’impression d’aller très bien. Après tout, c’était passé, fini, grossesse interrompue, et je n’avais pas la sensation d’être au fond du trou. Et puis, quelques signes me montraient que quelque chose n’allait peut-être pas si bien que ça. Je dormais mal, j’étais désagréable et à fleur de peau pour tout, je grignotais, beaucoup. Je me disais que ce n’était pas grand chose, que ça passerait. On arrivait début Septembre et je disais que ma participation au festival de La Poule des Champs me changerait les idées. Ça a bien été le cas, mais ça n’a pas pu durer au-delà, évidemment.
Le coup de grâce est arrivé au bureau, un jour en fin de journée. J’ai une deadline serrée sur un projet géré par un de mes collègues, mais sans consigne claire, sans méthodologie, le flou artistique mais avec des conséquences graves sur l’entreprise si nous n’arrivons pas à tenir le timing. De base c’est donc difficile à gérer, mais pour moi c’est l’enfer : j’ai besoin d’un cadre clair pour avancer, et là, nada. Je discute avec le N+1 du collègue en question, qui me demande mon avis sur la gestion de ce projet, et sur comment je vois ma capacité à tenir la deadline. Je lui explique que c’est ingérable, qu’il n’y a pas eu de réunion préparatoire et que c’est un chantier de titan sans ligne directrice. Au moins, la frustration sort, c’est dit et entendu. Et là, c’est le drame, il me demande comment je vais, si je pense que l’on va assurer. Et je me revois encore lui dire que oui tout va bien, et que ça va passer parce qu’il le faut, mais tout ça en me mettant à pleurer à grosses larmes. Ça l’a pris de court, mais moi aussi. Je me demandais clairement ce qui était en train de m’arriver.
Ça a été une sorte de déclic. Je ressort de cette discussion en me disant que je dois faire quelque chose. Je rappelle l’hôpital, ils m’avaient proposé un suivi avec une psychologue. Juste après cette grossesse interrompue, je n’en avais pas ressenti le besoin. Je devais aussi penser que j’étais assez forte pour gérer ça seule. Je prends finalement rendez-vous pour la semaine suivante. On s’est ensuite vues 5 ou 6 fois. Ça ne m’a pas permis de tourner totalement la page, je crois que j’arrive seulement au bout de ce processus à ce jour, mais ça m’a beaucoup aidé de pouvoir vider mon sac avec quelqu’un de neutre et d’extérieur à cette grossesse interrompue.
Aujourd’hui, soit 1 an et demi plus tard, je vais bien. J’y pense de temps en temps, mais de façon beaucoup plus sereine. Poser les mots était important.
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